La Via Mario Fani.
Ce qui la rend si sordide, c’est sa banalité : une petite rue, comme il en existe dans n’importe quelle ville. Elle n’a absolument rien de spécial.
Dans mon imagination, la Via Fani avait toujours été plus grande, plus importante et plus large. J’ignore pourquoi.
Le matin du 16 mars 1978, Aldo Moro et son escorte empruntèrent la Via Fani. Ils venaient de la Via Trionfale, où habitait la famille Moro.
La rue monte un peu, puis croise la Via Stresa.
Le carrefour manque de visibilité. Une voiture venant de la Via Stresa risque de ne pas être repérée. Cette situation de base a servi de lieu idéal pour une des embuscades les plus brutales de l’histoire.
En bas de la Via Fani, Mario Moretti, à bord d’une Fiat 128, avait réussi à s’insérer devant la voiture de Moro qui précédait celle de son escorte. Au carrefour de la Via Stresa, Moretti avait ralenti puis s’était arrêtée, se mettant en travers afin de bloquer au maximum la rue.
Les récits des brigadistes se contredisent dans les détails. Valerio Morucci rapporte que l’arrêt subit de Moretti aurait tout de suite provoqué la violente collision en chaîne des voitures qui suivaient. Moretti et Raffaele Fiore quant à eux racontent que les arrêts se firent en douceur et qu’il n’y avait eu aucun tamponnage. Le chauffeur d’Aldo, Domenico Ricci, aurait juste fait un signe de main du genre : « Avancez là devant ! » à la voiture qui le bloquait.
Sortirent alors d’autres brigadistes de leur planque. Ils ouvrirent tout de suite le feu. La mitraillette M12 de Raffaele Fiore, le brigadiste chargé de tuer Ricci, s’enraya après les premiers coups. Le terroriste changea de chargeur, mais il ne réussit pas à rouvrir immédiatement le feu. Cela donna quelques secondes de vie supplémentaires à Ricci qui fit des marches avant et arrière désespérées avec la Fiat 128 CD, pour sortir du piège. En vain.
La voiture de ses collègues et une voiture garée sur la droite empêchaient la fuite.
Oreste Leonardi, assis à côté de Ricci, n’aurait tenté aucune riposte, selon les brigadistes. Il consacrait toute son attention vers la banquette arrière où était Aldo Moro, cherchant à le couvrir et le protéger.
Les brigadistes, Prospero Gallinari armé d’une mitraillette TZ45 et Bonisoli avec sa FNAB-43, s’avancèrent alors vers la voiture de l’escorte.
Ils ouvrirent les portes et firent feu sur les occupants.
Rivera avait été quasiment tué sur le coup. Et, lâchant l’embrayage, aurait provoqué le saut en avant-dernière de l’Alfa Romeo, percutant la Fiat de Moro qui à son tour accrochait la Fiat de Moretti.
L’autre occupant de l’Alfa Romeo, Francesco Zizzi, survécut au massacre, gravement blessé. Il mourra quelques heures plus tard à hôpital.
A bord de la voiture d’Aldo Moro, Ricci poursuivait ses tentatives d’évasion, forçant Moretti, à rester au volant, le pied enfoncé sur la pédale du frein, frein à main serré, afin de maintenir la Fiat en place pour que reste bloquée la voiture des victimes.
Le brigadiste Morucci, qui avait aussi eu des problèmes avec son arme, avait réussi à remettre celle-ci en marche. Il s’avança vers la Fiat 130 et mit fin à la lutte de Ricci en l’abattant de près par une salve.
Gallinari avait tiré sans interruption jusqu’à ce que sa mitraillette cesse de fonctionner, elle aussi. Il continua à faire feu en se servant de son pistolet Smith & Wesson M39.
Bonisoli vida un chargeur sur les occupants de l’Alfetta.
Parmi ceux-ci, Raffaele Iozzino, qui assi sur la banquette arrière, avait été relativement à l’abri des balles. Il réussit à sortir de la voiture et se mit à riposter avec sa Beretta 92. Soit Gallinari, soit Bonisoli, ouvrirent alors le feu sur lui. Selon les dires de Moretti, ce fut Bonisoli qui, après avoir vidé sa FNAB-43 aurait tiré avec son pistolet, achevant Iozzino qui simultanément était touché par une rafale de projectiles tirés par les autres brigadistes. Iozzino s’effondra sur le pavé.
L’image de son corps fera le tour de la presse.
Comme mentionné plus haut, les dires des Brigadistes sont parfois contradictoires. Ils ne correspondent pas non plus avec les preuves matérielles relevées sur les lieux qui elles suggèrent que la majeure partie des projectiles aurait été tirée d’une seule arme.
Le récit ci-dessus n’est donc qu’un parmi d’autres scénarios évoqués. Le résultat reste de toute manière le même : la mort des cinq hommes de l’escorte : Oreste Leonardis, Francesco Zizzi, Domenico Ricci, Giulio Rivera et Raffaele Iozzino.
Le carnage accompli, les brigadistes pouvaient désormais cueillir Aldo Moro. Celui-ci était affaissé sur la banquette arrière, apparemment indemne. « Fiore, un homme costaud, le saisit par le bras et le tira dehors. Moro, profondément traumatisé, était en état de choc. Il ne se défendit pas. » raconta Moretti.
Je contemplais les lieux avec l’impuissance du visiteur d’un autre temps.
J’avais 12 ans à cette époque et maintenant presque 50. Je ne peux refaire 1978 et je ne peux plus rien y faire maintenant.
Je vis tous ces scènes devant moi. Je vis Iozzino s’effondrant sur l’asphalte. Je vis Aldo traîné dans la rue, Aldo qui tenait à peine debout sous l’emprise du choc. Comment firent-ils pour le faire avancer?
On le tire, on lui crie de dessus, on lui donne des coups ?
Je ne sais pas et ça ne sert à rien de se torturer l’esprit avec ces pensées, mais impossible de faire autrement.
Aujourd’hui la rue est retournée à son état de banalité originel. Rien ne rappelle la tragédie.
Ah si! Une plaque commémorative indique les noms des cinq hommes de l’escorte. On y voit aussi leur photos.
La plaque ne parle pas d’Aldo. Et c’est bien. On le sait ou alors on ne le sait pas.
L’escorte de Moro est encore plus oubliée que lui-même. C’était donc juste que la Via Fani leur "appartienne" à eux seuls.
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Extrait du récit de Voyage du "pèlerinage Aldo Moro"
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